vendredi, mai 26, 2006

tristes vignes champenoises...
















Cela n'a l'air de rien mais la vigne ci-dessus, photographiée l'hiver dernier, est spéciale. Elle appartient à Anselme Selosse, vigneron champenois qui élabore à mon avis un des tout plus grands vins de Champagne.


Je poste cette photo car j'ouvre ce soir une bouteille de sa cuvée Version originale (un extra-brut). Ce champagne est avant tout un vin, profond et structuré, ample et très persistant, avec une vinosité proche de celle des grands Bourgognes blancs. Le terroir d'Avize s'y exprime à merveille, avec toute l'intensité et la pureté du Chardonnay, souligné par un boisé discret qui étoffe le vin.

Chaque fois que je déguste un vin de Selosse, je pense à ses vignes. On y voit de l'herbe, mais aussi des insectes, une terre meuble, vivante, aérée, nourricière. Cela devrait être la norme, me direz-vous. Savez-vous combien de vignerons en Champagne labourent leurs sols et se préoccupent réellement de la santé des sols, de leur bonne vie microbienne ?? Une poignée d'acharnés, qui continuent à vouloir produire un vrai vin, soignent l'état sanitaire des sols, et deux ou trois maisons de négoce, haut de gamme et qualitatives, ont pris conscience de la gravité du problème.
La grande majorité des champenois continue de maintenir des rendements inédits ailleurs (100 hectolitres à l'hectare est encore fréquent) grâce à des vignes asphyxiées dont les sols ressemblent à ceux sur la photo du haut. Ces sols sentent la mort, d'ailleurs on distingue à peine en hiver les pieds de vigne des branches mortes. Des épandages de déchets industriels effectués au cours des années 70 sont encore visibles, avec des matières plastiques qui mettront des siècles à se dégrader. Compacts, tassés, assommés de traitements chimiques systémiques, les sols sont désertés par la vie et accueillent, selon les analyses de l'expert en microbiologie des sols Claude Bourguignon, "moins de micro-organismes qu'au coeur du Sahara...."

On se demande dans ces conditions comment les malheureuses vignes arrivent à transmettre aux raisins les éléments nutritifs qualitatifs puisés par les racines.

La Champagne est un vignoble gâté, où les exploitants ont pu s'enrichir par la hausse des cours du prix du raisin et la bonne santé de la demande mondiale pour un produit de luxe à l'image unique. Quand vous vendez à bon prix vos raisins à une coopérative ou un négociant qui va les presser et les assembler avec le jus fourni par les raisins de centaines d'autres producteurs dont vous ignorez l'identité où la provenance, vous ne vous préoccupez pas vraiment de l'état sanitaire des raisins ni de l'expression d'un terroir.
Les talentueux oenologues de Reims ou d'Epernay parviennent parfois à pallier ce manque constitutif par une réelle qualité gustative : l'art subtil de l'assemblage et la complexité d'élaboration du vin effervescent champenois sont capables de se substituer à ces défauts. Enfin, le consommateur se laisse gentillement séduire par un marketing imparable qui parvient aisément à faire oublier que le champagne, c'est du vin. La vie des sols, l'amateur de Champagne comme le producteur champenois s'en fichent comme de leur premier rhume.
Mais pour comprendre à quel point cette notion est importante dans l'élaboration d'un grand vin, goûtez donc un champagne de Selosse (ou de Egly-Ouriet, de Larmandier-Bernier, De Sousa, Françoise Bedel, Tarlant, Francis Boulard, pour citer quelques excellents vignerons...)....

"Le sol, la terre et les champs", par Claude Bourguignon, aux éditions Le Sang de la Terre