jeudi, septembre 20, 2007

Acceptons le prix du vin

J'ai évoqué le sujet dans un précédent post, et la tendance ne fait que s'amplifier.
Aujourd'hui, le constat est clair : de nombreux vins, des appellations entières, des bouteilles que bien des gens âgés d'une dizaine d'années de plus que vous s'offraient facilement sans avoir le sentiment de se déplumer, sont désormais condamnées à une inexorable augmentation de leurs prix de vente
dans les années à venir.
La raison est simple : l'intérêt mondial croissant pour les grands vins fait flamber les cours, et cet engouement sera durable, soutenu, et général.
La pénurie est bien réelle. Qu'on songe que le plus grand rouge de Bordeaux, Château Ausone, produit moins de 20 000 bouteilles par an pour le monde entier, ou le moindre Grand Cru bourguignon quelques milliers, et on sera saisi d'un vertige à l'imagination des dizaines,bientôt centaines de milliers de personnes fortunées (en Asie, aux Etats-Unis, bientôt en Russie, sans même parler de notre vieille Europe....) prêtes à se battre pour le moindre flacon....
En France, plusieurs signes ne trompent pas : depuis quelques années à Bordeaux, on glose sur l'augmentation des prix de sortie des vins en primeurs, arguant qu'il est encore possible de trouver les mêmes vins dans des millésimes anciens à des tarifs bien moins élevés. On oublie d'expliquer que se développe dans les mois qui suivent la campagne primeur un phénomène de rattrapage, qui voit ces millésimes anciens littéralement happé par les acheteurs du monde entier, qui anticipent avec raison une remise à niveau des cours basée sur les derniers prix en primeur.
Aujourd'hui, les stocks de tous les négociants bordelais sont vides, les prix des Premiers Grands Crus ont augmenté de 80% en 6 mois. Un exemple ? Margaux 2001, qu'on pouvait encore assez facilement trouver pour 200 € début 2007, est désormais intouchable à moins de 350 €, et les marchands réajustent les cours plusieurs fois par mois. En Bourgogne, à la suite de l'augmentation très significative des prix des grands 2005, dont la moindre goutte est archi-vendue et réservée, les plus sages producteurs, gênés mais réalistes, n'ont pas la moindre intention de baisser les prix de leurs 2006 ou 2007, qu'ils hésitent de plus en plus à proposer à leurs clients français, alors que tant d'acheteurs étrangers seraient prêts à leur en offrir le double !
Si les français souhaitent continuer à remplir leurs caves de très belles bouteilles, il faut accepter dans les prochaines années, à moins d'une très grave crise mondiale, de débourser des sommes qui auraient paru insensées il y a quelques années. Le riche acheteur de Shanghaï ou de Sao Paulo n'a aucun point de comparaison et ignore les cours d'il y a 5 ou 6 ans, et donc dépensera sans compter.
Attention, pas de catastrophisme : il n'y a jamais eu autant de très bons vins disponibles qu'aujourd'hui, et les alternatives aux grands Bourgognes et Bordeaux sont légions : les meilleurs vins du Rhône sont encore relativement disponibles, les grands rouges italiens du Piémont et de Toscane constituent des achats prioritaires aux tarifs encore raisonnables, les Cabernet franc de Loire s'apprêtent à revivre un âge d'or, les bons Languedoc seront de plus en plus recherchés, certains espagnols constituent d'excellents rapport qualité-prix-plaisir et des vins exotiques (Autriche, Afrique du Sud, Argentine) méritent d'être découverts. La plupart des blancs, à l'exception des Bourgogne, échappent encore à ce mouvement de hausse des prix.
Quant aux Champagnes, les prix vont aussi continuer à augmenter, pour répondre à la double pression du coût toujours plus élevé de l'approvisionnement en raisins, et de la demande mondiale de plus en plus soutenue. Le buveur français pas trop snob ni dépensier devra donc découvrir l'excellence de certains crémants et pétillants....
Heureusement pour certains, le prix de vin est plus que jamais déconnecté de sa valeur d'élaboration. Produire une bouteille de Mouton-Rothschild ne doit pas coûter plus de 15 à 20 € au domaine....Qu'on songe qu'un des vins les plus coûteux à produire, le Sauternes, voit ses prix stagner depuis des années, et que des merveilles comme les vins du Jura échappent l'attention de l'immense majorité....les amateurs curieux et capables de goûter sans trop s'attacher au prestige de l'étiquette ont encore de quoi régaler leurs papilles à moindres frais.